Évidemment! En retard! Ce n'était pourtant pas si difficile de faire ces valises vu le peu de choses dont Sieg avait besoin pour cette excursion! Il ne s'agissait après tout que de quelques semaines. Quelques mois, tout au plus. Et pourtant, le jeune écrivain semblait ressentir comme un rattachement à cette ville qu'il avait pourtant oubliée depuis longtemps. La seule chose dont il se souvenait, à vrai dire, c'était le fait d'y avoir vécu avec ses parents, l'incendie et peut-être, éventuellement, quelques architectures singulières d'un ou deux bâtiments de la ville. Oh, mais après tout c'était la capitale, il était évident qu'il puisse déjà avoir quelques repères, grâce aux médias. Mais c'était autre chose, ici. Un sentiment qu'il l'avait amené à prendre plus de vêtements que nécessaires, et même de quoi aménager l'éventuel logement qu'il se paierait là bas.
"Presse donc le pas, Sieg! J'entends le train siffler!"
"Il ne siffle pas, imbécile!"
C'était une façon de parler, bien entendu. Mais le fait était que le train arrivait en gare de Piimu. Et Sieg n'avait vraiment pas été intelligent en ce jour torride... D'une part, il avait causé son retard en remplissant un sac pas assez gros de plus d'effets personnels que nécessaire, mais en plus, il s'était vêtu de noir. Ce qu'il portait d'habitude: c'est à dire un ensemble noir, assorti d'un pull et d'un manteau de cuir. Bien entendu, on pouvait se dire que le fait qu'il veuille cacher ses cicatrices à ses poignets y était pour quelque chose. Mais il y avait un seuil à ne pas dépasser pour se retrouver dans les limbes du ridicule.
"Allez! Hop hop hop, jeune homme!"
"Eh! je peux pas aller plus vite que la musique, hein!"
"Il arrive! Il arrive!"
"Threid, LA PAIX!"
Et Sieg enchaînait les erreurs avec brio! Parler à son esprit sans même utiliser la pensée. C'était une erreur monumentale. De débutant même. Mais peut-être était-ce simplement parce qu'il ne connaissait Threid que depuis peu de temps. A vrai dire, il ne l'avait enfin vu il n'y a qu'un an, tout au plus. Et il n'avait pas vraiment tenté de renforcer ses liens avec lui, étrangement. La recherche des assassins de ses parents semblait plus importante... Aussi, pendant longtemps, il se forma, à travers différents cours, aux bases de quelques arts martiaux, à la maîtrise de l'arme à feu de poing et même au crochetage.
Bref, dans tous les cas, le fait de hurler le nom de son esprit n'avait heureusement pas attiré les regards vers lui. Il se contenta de prendre le billet de la borne automatique et se diriger vers le quai de la gare.
Équipé de son énorme sac de voyage en bandoulière et de sa valise, lui donnant presque l'allure d'un homme d'affaire, il traversa rapidement l'espace agressé par le soleil, parcourant du regard les quelques personnes déjà présentes. Trois jeunes filles, un homme, essoufflé, de toute évidence, et puis un autre, entrant dans la voiture 15.
*La voiture 15...? Ce n'est pas la tienne?*
*Si... C'est bien là...*
*Tu hésites, Sieg? Tu sais que tu n'es pas obligé d'aller à Syracuse. Tu pourrais continuer de vivre ici. Les deux autres n'ont pas entretenu cet harcèlement comme celui qui t'a...*
*Je n'hésite pas, Threid. Je vais entrer. Je ne peux pas laisser le meurtre de mes parents impuni.
En entrant dans ce train, il savait qu'il allait devoir abandonner en grande partie l'écriture. C'était une enquête personnelle qui l'attendait. Non, même s'il avait une arme, il n'allait tuer personne. Il était trop bon pour ça. Mais laisser passer un tel assassinat, c'était déshonorer ses parents qui lui avaient permis de vivre jusqu'ici. Aussi, il franchit le pas, et se mit à la recherche de sa place. Il vit alors dans la voiture un jeune homme qui lui rappela ses sacrifices: ce dernier portait de très longs et beaux cheveux noirs, teints partiellement en rouge. Sieg possédait ce type de chevelure, auparavant... Mais il avait dû les couper, pour rester anonyme à Syracuse. Il espérait seulement que l'on ne reconnaisse pas ses yeux verrons, si particuliers... et qu'ainsi on ne fasse pas le rapprochement avec le très célèbre Sieg, l'écrivain, auteur de deux glorieux best-seller. Il fallait l'éviter à tout prix s'il voulait mener son enquête avec un semblant de succès. Un sentiment de nostalgie l'envahit cependant, un instant, puis il se contenta d'aller s'assoir à sa place. La place 60, comme il était indiqué sur son billet.
Après avoir placé son sac de voyage en hauteur, dans un compartiment, il s'assit enfin, profitant de la climatisation qu'offrait ce train. Puis il mit sa valise lui donnant un air si distingué sur ses genoux. Après un bref coup d'œil afin que l'on ne voit pas son contenu, il l'ouvrit, face au jeune homme aux cheveux longs. Cachant de la sorte le contenu, il put y voir des documents papiers, portant sur les évènements de l'incendie mais aussi sur ses propres écrits imprimés et à corriger. Dessous se trouvait son ordinateur portable qu'il sortit et posa sur le siège d'à côté. Puis, pendant une seconde, l'on pouvait voir son pistolet. Rien de bien spécial: juste une très petite arme avec un calibre modeste de 9mm, et un chargeur plus que suffisant de huit balles. Après tout, il ne comptait pas s'impliquer dans des fusillades. Il rangea l'arme et le chargeur indépendamment dans la valise, dans les pochettes opaques du "couvercle" et la ferma immédiatement, presque hâtivement. Puis il la rangea sous son siège, plaçant ensuite son ordinateur sur ses genoux. Aucune recherche à faire, surtout qu'il n'avait aucun moyen de la faire progresser dans un tel lieu: il allait simplement écrire. Ce voyage allait être bien long, après tout...